Le Ding Shi est un apport sublime à l’histoire des Nei Gong, arts internes chinois du mouvement.
C’est une marche circulaire reliant 9 postures fondamentales du corps, culture des dynamiques internes de la santé. Cette pratique est issu de l’art martial nommé Baguazhang 八卦掌 , la Paume des Huit Trigrammes .
Dans sa pratique, j’expérimente la courbe comme culture physique et corporelle.

Tous les professionnels du corps humain le conçoivent: les muscles ne sont pas droits.
En fait rien n’est en vérité absolument droit, en anatomie comme dans la nature: tout participe à une sorte de mouvement constant d’évolution qui demande, pour ce faire, une inflexion permanente et un changement.
De ces inflexions – jeu subtil entre stabilité et instabilité, vide et plein -naît la courbe. Ainsi, même la ligne droite tracée à la règle possède une irrégularité. Rien ne saurait être plan et linéaire, si ce n’est ce qui est perçu par les sens et estimés par eux comme tels, bref ce qui est mental. L’aspect tri-dimensionnel de l’univers explique cet état de fait: ce qui est droit ne l’est qu’en superficie, en apparence.

Sur le plan anatomique, la courbure des muscles et des tissus possède ses explications, liées à la contraction et à la décontraction des tissus, à l’optimisation de l’espace dans l’organisation du haubanage musculaire et des organes, au glissement des fibres et au potentiel de variation dans les angles et les sens, permettant de nombreux mouvements.
Les muscles possèdent tous un aspect torsadé, que ce soit dans la disposition ou sur leur longueur. Ainsi, s’il existe une ligne possible dans tout mouvement, elle passe obligatoirement par l’emploi conscient ou inconscient de différents « arcs » dans les structures.
La stature droite, elle même, repose sur un jeu de maintiens et de laisser-aller dans les architectures, une succession de mouvements serpentant et se combinant pour déboucher sur la ligne apparente.

La marche circulaire et les transitions de postures que je pratique journellement s’effectuent dans ce que j’espère être fluidité et combinaisons. Ce peut être des cercles si légers et petits qu’ils sont invisibles de prime abord, ou bien parfois de grand mouvements très visibles. Par l’intermédiaire de ces cercles, je permets à chacun de mes muscles d’utiliser en décontraction la pleine amplitude disponible . Dans cette fluidité, les muscles s’ouvrent et les liquides organiques circulent, nourrissant le corps.

Pendant la marche et à chaque mouvement, j’accompagne une légère « échappatoire » circulaire dans la détente. La courbe est là et me guide.
Garder un équilibre entre une structure vivante et une décontraction générale est régulièrement le nœud du problème . Trop se relâcher, c’est se « déchaîner », se déstructurer, être rempli de « fuites » cinétiques & énergétiques. Trop se tendre, c’est verrouiller tout mouvement et empêcher Qi Hua, la transformation interne.
Le verrou du mouvement n’implique pas que la restriction du mouvement musculaire ou des tensions. Il implique aussi la restriction de tous les mouvements internes: d’abord le mouvement naturel du sang, mais aussi celui de l’appareil respiratoire, de la lymphe et de l’influx nerveux, nécessaires à la santé.

De ce point de vue, le Ding Shi permet à la fois de respecter l’amplitude musculaire par son aspect circulaire mais aussi de produire un optimum des divers liquides vivants.
Le relâchement et l’ouverture sans intervention dans le mouvement permet l’harmonisation de l’influx nerveux et le calme de l’esprit. En outre, une marche d’abord rythmée (c’est mon cas la plupart du temps) permet de développer une proprioception convenable à l’harmonisation du geste et de la respiration. Et la respiration, c’est peut être du souffle, mais c’est aussi du sang: la boucle est bouclée.
En résumé, derrière toute ligne, il y a une succession de courbe. Le Ding Shi est donc un exercice qui nous permet d’entrer au cœur du geste, de se faire intime avec son essence première. Cette étude en sensation, espace de méditation dynamique, m’emmène à sonder la profondeur de mes mouvements, et de comprendre le sens des cycles et des rythmes. Toute marche est rythmée et les rythmes se succède dans la gestuelle comme les architecture se transforment.

A force , aurais-je envie d’ajouter que la marche circulaire possède sa propre considération philosophique: tout est cycles et révolutions, tout est changement. Mais ce changement s’expérimente comme lieu de l’ici et maintenant. Le vide mental permet l’expérimentation intérieure des transformations qui s’effectuent loin du quotidien et qui nous ramène à notre vitalité propre. Dans un espace sphérique et sans direct « droit devant », on effectue une jolie transformation de perception & de culture. La ligne droite n’est pas obligée d’être un référentiel absolu, on peut aborder l’évolution des choses, du quotidien, de la vie et du Qi depuis le cercle. Accéder au cycle, comprendre les rythmes et les transformation, accéder à un lâcher prise philosophique sur les événements, mouvements éternels. Apprendre les fondements de la patience.
Enfin, comprendre l’aspect courbe de la ligne, c’est prendre conscience qu’à chaque instant de son évolution, il est possible d’infléchir son mouvement, et d’ajuster sa trajectoire vers un élan meilleur.
Je remercie vivement Tom, Pascal & tous les enseignants les ayant précédé, pour avoir ouvert ce chemin, au milieu des montagnes.