Ma pratique du Taijiquan est fortement reliée à celle du Baguazhang. Je ne fais aucune différence ou préférence dans la pratique de l’un ou de l’autre. Si bien que je pratique la plupart du temps l’un à la suite de l’autre, voir même l’un avec l’autre. Je n’ai aucune ambition d’un jour espérer cerner toute la profondeur et la grandeur des deux pratiques: je suis bien plus intéressé à l’idée d’exister dans ma pratique et d’explorer, menant cet élan le plus loin possible, libéré des complexes de légitimité ou de crises identitaires sur ce qui est Bien ou Mal dans les Arts Martiaux. Mon point de vue, c’est que le Bien de réputation comme le Mal de réputation n’existent pas quand on suit le Dao: seul la Voie compte, et la Voie est Une. Seul compte le « bien » ou le « mal » d’expérience, toujours relatifs, qui subsistent en regard de notre chemin propre, principale expression de la flamme consciente.

Si j’ai appris par mon ami et guide Nhuan Tri que le Taijiquan était une « voie du vieil homme et du centre », j’ai appris de mon ami et guide Pascal Jauffret, que le Baguazhang est un art de la transition et du changement, art où l’interne comme l’externe se voient reliés et pratiqués l’un avec l’autre, ou l’un dans l’autre.
La Taijiquan, je le pratique avec recueillement, le corps en accueil, l’œil tourné vers les phénomènes intérieurs. Avec le Bagua Neigong, je me laisse entraîner facilement dans la ronde. Ce sont deux voies profondes, sans cesses renouvelées par l’exploration de leurs natures sans limite. En elles-mêmes, par elles-mêmes, elles ont tout ce qu’il faut. Ceci dit, pour moi, la synthèse et le métissage sont les meilleurs cadre de progression. Relier les deux, c’est faire résonner l’une en l’autre, j’en sors grandi.

Le Neigong des « mouvements du vieil homme » propose la compréhension de la détente et de la légèreté du centre comme source d’une réunion avec les mouvements internes, les quatre membres et l’abondance du Qi et du Sang. Le centre comme point de levier, le centre comme axe fondamental, ici la colonne vertébrale et son état dans l’espace.
Où est donc le vieil homme? Dans le fait qu’il abandonne ses ressources, sa force musculaire – Li et la souplesse de tissus jeunes et intègres par la naissance, héritage de yuanqi, pour une responsabilité et une prise en charge de son propre « écosystème », une compréhension des mécaniques qui fondent la « force », si tant est qu’elle existe dans son acception la plus commune.
La variabilité du corps est une clé qui repose sur la détente, passage informatif.
Le vieil homme, ici le « Lao », est une qualité qui se développe et non un « nivellement par le bas » comme on pourrait le penser à priori, revêtir un habit de personne amoindrie par l’usure du temps. Ce qui a amené à présenter le Taijiquan que comme une thérapie: on parle souvent de Taichi, comme de la manière qu’elle équilibre, développe, renforce, « harmonise » (un mot populaire, employé, réemployé, mais qui reste une méditation avant tout: l’harmonie me semble un mot-maître possédant un sens qui se découvre plus qu’il ne s’établit). Très peu d’informations par contre sur la valeur puissante , immensément puissante d’une telle pratique de détente.

Le Bagua Neigong propose une attention sur la courbe, géométrie fondamentale du corps et, dans notre société orthonormée, souvent terra incognita du sens quotidien. La courbe comme source profonde de toutes les liaisons musculaires du corps, propose une attention sur les transitions et temps intermédiaires, sur la façon dont on exécute toute transition, changement, modification de l’architecture externe et interne. Le changement, c’est la clé de la constance, non pas en tant que cadence inanimée, machinale, mais de rythme témoin du souffle profond, la capacité de l’individu à développer son endurance par l’adaptabilité et l’abandon de l’idée de forme rigide.
Cette spontanéité peut prêter à rire et certains analystes l’envisagent comme une paresse vis à vis de la forme plus qu’une réelle discipline. Pourtant, la notion même de Qi Hua, l’évolution du Qi, montre le caractère toujours changeant et la notion de cycle omniprésente dans tout métabolisme: tout est nouveau donc tout s’aborde avec renouveau, dans un rapport constant. Ainsi, la forme n’empêche pas la spontanéité pour permettre une qualité différente dans le corps: la structure ne freine jamais la force vive, le Cœur, expression de Vie.
La discipline vient sans aucun doute quand on s’aperçoit que pour atteindre sa spontanéité, lâcher toute illusion est nécessaire, et ce Neigong n’est pas qu’une libération des forces vives, mais l’occasion de percevoir l’entièreté des irrégularités du Qi dans le corps. Ce que l’on est, sans couverture ni masque.
Les douleurs, les contraintes, les tensions, les régulations du corps et des émotions sont souvent présentes, elles viennent comme autant de lumières jetées sur nos limites, nos contradictions, nos vides, nos excès.

La force de chacun de ces deux arts prend une si belle dimension quand je m’aperçois du centre et des lignes dans la courbe du Ding Shi, la marche circulaire du Bagua Neigong. Quand je perçois les courbes nécessaires au développement du fajin dans le Taijiquan.
Centre et Cercle interagissent alors pour offrir toute la variété des géométries possibles, toute la diversité des musiques de l’Esprit.