Le Dao qui peut être nommé, que l’on saurait exprimer, n’est pas le Dao Véritable. Un Nom qui peut servir à nommer, n’est pas le Nom permanent.
– Daodejing
Depuis la non-présence du sommeil, je trouve des ressources pour revenir à Yang et à l’état d’éveil, et partir sur les chemins de diversité, chemin des mille et un phénomènes, de l’action et du langage, séparant ce qui survient en concepts, en transformations , en nuances plurielles.
Je suis et chaque chose a une identité, chaque chose que je vois depuis le filtre de mon point de vue conditionné par la mémoire, la culture, le temps, les sens, les besoins du moment. Dans cet chaîne de phénomènes qui est aussi étalonnage de nuances, il y aurait de quoi avoir le tournis! Tant de choses vécues, tant de mouvements accueillis ou émis… Ces chaines de mouvements, ce réseau de relation entre les êtres et les choses, qui apparaît au fur et à mesure que je cherche à agrandir ma vue, à voir depuis le point le plus large, le plus haut… j’irai jusqu’à un point mais ma tête, mes sens, seuls, ne peuvent pas tout considérer. La mémoire est dense et les souvenirs nombreux mais limités. Je ne peux distinguer l’entièreté du monde autour de moi. Mais aussi: je ne peux distinguer l’entièreté du monde en moi. Je suis c’est certain, aussi bien que le monde est. Une flamme est lancée dans le monde, mais la conscience s’étend jusqu’à l’inconscient , ma ligne d’horizon. Ma mémoire va et vient : combien de choses vécues dont je ne me rappelle pas? Que ce soit devant moi, ou derrière moi, que ce soit à gauche ou à droite, en haut ou en bas: un mystère présent, une limite repoussée mais éternelle. Un monde, un univers, dont chaque tentative de définition produit l’inexactitude.

Je scrute du regard, et ne vois rien: j’appelle cela l’Indistinct. J’écoute et n’entends rien: j’appelle cela le Silencieux. Je palpe et ne trouve rien: j’appelle cela le Subtil. Aucune de ces trois expériences n’apporte de réponse. Je ne trouve qu’une Unité Indifférenciée. Indiscernable, on ne saurait la nommer.
– Daodejing
Dans la danse éternelle des identités, qu’est-ce qui est moi, qu’est ce qui est l’Autre? Le monde, cet Autre infini & éternel. Où commence le corps, où finit il? Où commence l’esprit, où et quand devient il autre? Les émotions et les pensées des hommes prouvent leur aspect autre que brut. La douleur et la mort des hommes prouvent leur aspect autre que purement subtil. Le subtil ne résiste pas à l’exigence de la matière, la matière ne perdure pas sans la présence de ce qui l’anime.
L’Un et l’Autre, l’Autre et l’Un dansent dans une ronde de propriétés, d’identités stables de façon temporaires. L’Un et l’Autre se vivent simultanément: aurais-je l’envie de ne considérer qu’une part que je perdrais de vue l’autre. Je serais à côté du réel, de trop le considérer, je suis à côté du présent, de trop me projeter. L’identité est une limite pratique et nécessaire pourtant, car comment être si on ne peut percevoir? Quelque part au centre, se trouve un expérience indicible du monde, où identité comme êtreté se complètent sans violence.

Le Dao ne saurait être entendu, ce qui peut être entendu n’est pas Lui. Le Dao ne s’aurait être aperçu, ce qui peut être aperçu n’est pas Lui. Le Dao ne saurait être émoussé, ce qui peut être émoussé n’est pas lui. Qui donc a jamais compris que ce qui donne forme aux formes n’a pas de forme?
– Huainan Zi
Dans le centre de mon âme, il est un espace où la Différence n’est pas majoritaire. Je suis et simplement suis. Je ne pose pas d’opinion et par cela, d’opposition. Il est une réconciliation possible au centre de ce qui est. Un espace où rien ne s’affronte et ou rien ne se perd vraiment. Un espace de pure présence mais d’aucun absolu. Où aucune oblitération et conditionnement ne se proposent. C’est une base, c’est un lieu de repos. C’est un espace aussi profond qu’immense, aussi petit que grand, infini, éternel. C’est un état, un Mouvement. Comme si je pouvais reculer de ce monde, pour en voir la plus grande vue d’ensemble, une vue sans limite. Comme si je pouvais approfondir le monde et voir toujours plus loin dans le petit, au delà des plans perceptibles des sens. Dans cet espace sans limite ni frontière, aucun nom ni forme ne peut subsister. Cet état premier contient en lui tous les possibles.

Il est un Être indifférencié parfait, né avant le Ciel et la Terre. Nous pouvons le considérer comme la Mère du monde, mais j’ignore son Nom: je l’appellerai Dao. Et s’il faut lui donner un Nom, ce sera l’Immense, l’Incommensurable.
Ce qui est sans nom est origine du Ciel et de la Terre. Ce qui a un nom est Mère des Dix Mille Êtres. Invisible et Visible, ensemble, je l’appelle l’Obscur. Et le plus obscur dans cette obscurité est la Porte de tous les Mystères. Mystère des mystères, Porte de toute merveille…
-Daodejing
Avant que la forme existe, avant que la nuance opère, ce possible permet d’aller où que l’on soit, d’être sans limite. Avant le temps et l’espace, avant le début de la dualité mentale qui sépare pour penser, qui limite pour transformer, qui vit dans la Diversité, il est un espace infini et non défini.
Dès que je le nomme, je le sépare et le conditionne. Par la pensée je l’informe. Vide, il se transforme et s’identifie. Par le regard, dix mille phénomènes arrivent et existent. Je suis, mais pour mon voisin, je suis autre. Dans cette danse du défini et de l’infini, il est un espace inconnaissable entièrement, qui me dépasse, que je ne saurais considérer vraiment. Un mystère impossible à pénétrer, impossible à révéler, reflet de la propre impermanence de la mémoire.
Seul l’existence reste et la Joie d’être. Tout est grâce , quel que soit le chemin.
